Le Cinéma est venu à mon secours !

Posté par jacques LAUPIES le 20 août 2025

Joachim Trier, réalisateur : « Plus je vieillis, plus la Seconde Guerre mondiale me semble proche »

Récompensé par le Grand Prix à Cannes, Valeur sentimentale, le nouveau film de Joachim Trier mêle histoire familiale et mémoire de la Seconde Guerre mondiale.

Culture et savoir

 

6min

Publié le 19 août 2025

Le Cinéma est venu à mon secours ! dans POLITIQUE
Valeur sentimentale a reçu le Grand Prix du Festival de Cannes 2025.
© Kasper Tuxen

Joachim Trier a le sens de la fidélité. Oslo, la capitale norvégienne est ainsi devenue le territoire privilégié de son cinéma, avec un quadriptyque accidentel constitué de Reprise (Nouvelle Donne) (2006), Oslo, 31 août (2011), Julie (en 12 chapitres) (2021) et désormais Valeur sentimentale, récent Grand Prix du Festival de Cannes. À l’instar d’un metteur en scène d’une troupe de théâtre, il aime retrouver ses comédiens, tels Renate Reinsve, l’héroïne de son précédent long métrage et Anders Danielsen Lie, son acteur fétiche et son ami.

Viennent s’y adjoindre l’immense Stellan Skarsgard, Elle Fanning et Inga Ibsdotter Lilleaas dans un récit mêlant cinéma et histoire intime. Dans la réception suivant l’enterrement de leur mère, deux sœurs, Agnès et Nora, voient leur père débarquer dans la maison familiale. Gustav Borg, cinéaste rare et papa intermittent, propose à sa fille Nora, comédienne accomplie, de jouer dans son prochain film, réveillant à la fois les oppositions intergénérationnelles et un lourd passé qui ravive les drames de la Seconde Guerre mondiale. Un long métrage sensible et bouleversant.

Comment Valeur sentimentale montre-t-il à la fois la capacité du cinéma à raviver la mémoire et son incapacité à l’incarner pleinement ?

Le cinéma est l’art qui ressemble le plus à la mémoire. Quand je revois mon premier film, tout le monde a vieilli, la ville a changé. Il retrace la disparition d’une époque, tout en en encapsulant une version. D’une certaine manière, Valeur sentimentale pose la question de notre responsabilité envers la mémoire. Je crois comme Hegel et Marx que l’histoire nous enseigne quelque chose et que nous devons au passé de nous en souvenir pour nos enfants.

En même temps, nous devons trouver l’équilibre entre accepter l’oubli et le devoir de mémoire. Cette famille se pose la même question. Quand allons-nous laisser la Seconde Guerre mondiale derrière nous, alors que nous ne pouvons pas pardonner à notre père sans la comprendre ? Ce paradoxe m’intéresse de plus en plus à mesure que je vieillis. Mon rôle de cinéaste n’est pas d’avoir la réponse, parce que je n’en ai pas, mais de montrer le processus de questionnement.

 
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Le film fait également référence aux crimes nazis. En quoi cela permet-il d’évoquer les conflits contemporains et la montée de l’extrême droite dans le monde ?

Plus je vieillis, plus la Seconde Guerre mondiale me semble proche. Quand j’étais enfant, je savais mon grand-père très affecté et traumatisé par ce conflit où il avait fait partie de la Résistance. Il avait été capturé et avait survécu. Je voyais en lui un vieil homme brisé qui essayait de survivre.

Maintenant, je réalise à quel point le temps a été court. Nous évoquons la guerre et la paix comme une dynamique rapide alors que c’est un traumatisme sans fin qui touche au moins trois générations. Je regarde mes enfants en me demandant s’ils seront comme moi affectés par la Seconde Guerre mondiale. Il est facile d’envoyer une bombe mais il faut cent ans pour l’oublier.

Au Festival de Cannes, vous avez signé une pétition rendant hommage à Fatima Hassouna, la photographe palestinienne tuée à Gaza. Que dit de nous notre incapacité à arrêter ces bombardements ?

Les mécanismes de la société semblent soudainement très éloignés des souhaits de la plupart des gens. Je ne sais pas quoi faire. L’humanisme politique doit être radicalement renforcé dès maintenant. Sinon, les gens vont perdre confiance dans les femmes et les hommes politiques, y compris les bons. Je me sens très perdu, très triste et j’ai même l’impression que le fait d’en parler complique les choses, parce qu’encore une fois, ce ne sont que des mots.

Je peux essayer de parler de l’importance de la tendresse, de l’ambivalence, de la curiosité, de tous ces mécanismes que nous essayons d’enseigner à la prochaine génération comme l’importance de la nature et des autres humains ou le refus du culte du profit.

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J’ai arrêté d’être le punk qui, dans les années 1990, se moquait de John Lennon. Aujourd’hui, la position radicale consiste à dire : « Arrêtez tout, restez tranquilles, soyez gentils. » Mais j’observe sans voix et horrifié le traitement des civils en Palestine. Cela m’effraie et beaucoup de gens ressentent la même chose. Il faut faire quelque chose mais je m’en sens terriblement incapable pour le moment. Ma position est un cri de désolation non polémique à l’adresse de ceux qui peuvent faire davantage.

Quel est votre point de vue sur l’exception culturelle que les cinéastes européens ont défendue au dernier Festival de Cannes ?

Elle vise à protéger la survie de langues et de cultures spécifiques en Europe contre une machine commerciale plus agressive qui pourrait potentiellement les supplanter. Je vis dans un pays dont la langue est très peu parlée. La Norvège ne compte que 5,5 millions d’habitants. Le fait que nous puissions faire des films dans notre langue et pas dans une langue plus répandue comme l’anglais, le français ou l’espagnol, nous donne l’occasion de raconter certaines histoires, de présenter certains personnages et certaines vérités.

Nous devons protéger certains langages cinématographiques contre l’homogénéisation de certains processus de distribution. Si tout devait être négocié uniquement en termes de capital et d’argent, nous en souffririons. Par exemple, il existe de grands écrivains en Norvège parce que nous avons un système très spécifique où toutes les bibliothèques achètent automatiquement un livre dès sa publication. C’est une incitation politique afin que chaque roman publié soit accessible gratuitement à tous.

C’est une très bonne chose qui facilite également la tâche des éditeurs, car ils savent qu’ils vont vendre un certain nombre d’exemplaires. Ils peuvent donc s’intéresser à de jeunes écrivains et prendre des risques. Tout le monde pense que l’art est gratuit. Mais quelqu’un a toujours payé. Beaucoup d’œuvres d’art que nous considérons aujourd’hui comme des classiques ont fait perdre de l’argent à leurs créateurs. Mais elles ont changé le monde. Elles ont changé ma vie. Kafka ne savait même pas qu’il serait publié. Heureusement, quelqu’un l’a fait.

Valeur sentimentale, de Joachim Trier, France, 2 h 13

 

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