Connaissez-vous le premier poste de dépense de l’État ? Aides publiques aux entreprises : les dessous d’un scandale à 200 milliards
Posté par jacques LAUPIES le 25 avril 2025
Dans la France de 2025, les chômeurs sont de plus en plus contrôlés, quand les aides publiques aux entreprises, premier poste de dépense de l’État pour un montant d’environ 200 milliards d’euros par an, ne le sont toujours pas. Une commission d’enquête sénatoriale se penche sur le sujet et lève de nombreux lièvres.

© Capture d’écran-Site Sénat
Bruno Le Maire le disait il y a à peine un an : il faut s’assurer de « l’efficience » de chaque euro versé par l’État. « Les Français doivent en avoir pour leur argent. » Sauf que les aides aux entreprises sous toutes leurs formes, le premier poste de dépense publique, ne sont pas mesurées et encore moins évaluées. Une commission d’enquête est en cours – jusqu’à juillet – au Sénat pour prendre ce sujet à bras-le-corps et chaque nouvelle audition renforce sa pertinence et son urgence. Rien qu’obtenir le montant annuel des aides publiques perçues par les entreprises relève de la gageure.
Carrefour : en six ans, 37 990 salariés en moins, et 2 milliards d’aides publiques
L’enseigne de grande distribution a mis en place un système permettant de se débarrasser de salariés d’un côté et de bénéficier d’aides publiques de l’autre.
Il y a bien un « système Bompard », du nom du PDG de Carrefour, et son audition à la commission d’enquête sénatoriale sur les aides publiques aux entreprises l’a mis en exergue. D’un côté, il y a ce que le patron dit publiquement et fièrement : « 170 000 personnes travaillent aujourd’hui sous nos enseignes en France. Nos 6 000 magasins forment un réseau unique au sein de nos territoires. » De l’autre, il y a ce qu’il présente aux actionnaires, tout aussi fièrement, et que Fabien Gay, le rapporteur, a déniché. Tableau à l’appui, il affirme que « les effectifs de Carrefour en France n’ont cessé de diminuer, passant de 112 000 salariés en 2017 à 109 000 en 2018, 101 000 en 2019, 96 000 en 2020, 92 000 en 2021, 80 000 en 2022 et 74 418 en 2023 ». La différence ? Le recours de manière industrielle à la franchise ou la location-gérance. Avec ce système, le franchisé doit prendre en charge les salariés en plus de payer une redevance et souvent un loyer à la marque. Les travailleurs perdent souvent leurs conquis – dont une semaine de vacances –, leur ancienneté, et se retrouvent isolés des organisations syndicales du groupe. Pour Carrefour, en revanche, c’est tout bénef : le groupe s’accorde une rente, et si ces enseignes ont des mauvais résultats ou ferment, Alexandre Bompard s’en lave les mains, cela ne figurera pas dans son bilan comptable. Les syndicats sont vent debout contre ce système et estiment qu’il s’agit d’un plan social déguisé. La CFDT a assigné le distributeur en justice sur ce point.
Cette politique est d’autant plus socialement préjudiciable que la multinationale bénéficie chaque année de 250 millions d’euros d’aides fiscales en France, et de plus de 100 millions de baisses de cotisations, au titre d’aides au maintien dans l’emploi. « En six ans, Carrefour a bénéficié de 2 milliards d’euros : ce n’est pas négligeable, surtout lorsqu’on connaît les bénéfices réalisés par le groupe et le montant des dividendes versés aux actionnaires. Or 37 990 emplois ont été supprimés durant la même période. Dès lors, l’argent public ne sert pas à maintenir l’emploi », a tranché Fabien Gay.
Quand Mathilde Lignot-Leloup, présidente de section de la première chambre de la Cour des comptes, a avancé le chiffre de 55,4 milliards d’euros d’aides d’État par an, Marc Auberger, inspecteur général des finances, estime le montant à « environ 170 milliards d’euros. Mais je pense qu’on en oublie… » Avant d’ajouter, hésitant : « Il se peut que l’on atteigne 200 milliards d’euros. » L’écart est conséquent et s’explique par le fait que personne ne s’est vraiment accordé sur la définition de ce qu’est une aide publique et sur le périmètre de ces aides. Subvention, crédit d’impôt, allègement de cotisation…
42 % pour les grandes entreprises, 35 % pour celles de taille intermédiaire et 23 % pour les PME
« C’est une aide publique lorsque cela émane d’une politique publique, avec des objectifs et des moyens associés », tranche le fiscaliste Vincent Drezet, porte-parole d’Attac, qui défend une acception plutôt large du phénomène. Cela représente environ 2 200 programmes d’aides aux entreprises, réparties dans plusieurs administrations et ministères. « Je ne sais pas du tout si quelqu’un dispose d’éléments sur le nombre total de dispositifs », a même reconnu lors de son audition Sylvain Moreau, directeur des statistiques d’entreprises de l’Insee.
Ce qui fait dire à Fabien Gay, sénateur communiste et rapporteur de la commission d’enquête (par ailleurs directeur de notre journal), que ces aides bénéficient avant tout aux grands groupes, les seuls à même de s’y retrouver dans cette jungle. De cela aussi les sénateurs essaient de s’assurer. Les seuls chiffres clairs à ce propos ont été apportés par la direction générale des entreprises, en charge notamment de 3 à 4 milliards d’euros de subventions d’État directes réparties ainsi : 42 % pour les grandes entreprises, 35 % pour celles de taille intermédiaire (ETI) et 23 % pour les PME.