Pourquoi le communisme est-il d’actualité ?
Posté par jacques LAUPIES le 18 janvier 2025
Pourquoi le communisme est-il d’actualité ?
En débat
Défi climatique, rôle de l’État et prise de pouvoir, socialisme et communisme, héritage et « déjà-là » communistes : la question de son actualisation est au cœur de la construction de l’alternative au capitalisme.
12min
Publié le 16 janvier 2025

© Patrick Gherdoussi / divergence-images
De l’édition du Manifeste du Parti communiste de Karl Marx en 1848 à l’élection de Donald Trump en 2024, le visage du monde a beaucoup évolué. En quoi le communisme représente-t-il une voie pour construire des alternatives dans les luttes et au pouvoir ? La question de l’actualité du communisme était en débat entre trois auteurs au Village du livre de la Fête de l’Humanité en septembre 2024, lors d’une rencontre intitulée « Le communisme qui vient ».
Quelle est l’actualité du communisme ?
Éric Le Lann
Essayiste et auteur du Communisme, un chemin pour l’avenir, éditions Manifeste, 2024
Pour montrer l’ambition communiste nécessaire aujourd’hui, je partirai de l’enjeu vraiment majeur pour toute l’humanité : le défi du climat. Dans mon livre, j’avance l’idée d’une sécurité sociale climatique. À ce sujet, il faut d’abord mesurer les obstacles qui nous empêchent d’avancer.
Pourquoi, trente-deux ans après la convention de Rio, se retrouve-t-on dans la panique générale à l’échelle du monde ? Depuis plusieurs années, on assiste à un véritable sabordage de cette convention. Ce blocage a même rendu caduc le protocole de Kyoto de décembre 1997. Cela a abouti aux accords non contraignants de Paris de décembre 2015. Les États sont-ils tous responsables ?
Je ne le crois pas : il existe une responsabilité écrasante des États-Unis. Cela est très peu signalé dans les médias : ce pays qui compte parmi les premiers émetteurs de CO2 au monde est, entre-temps, devenu le premier producteur et premier exportateur d’hydrocarbures. Non seulement les États-Unis ont les records de consommation, mais en plus ils ont développé des filières telle celle du gaz de schiste, etc.
En quoi les enjeux climatiques appellent-ils le communisme ?
Éric Le Lann : Face à l’urgence du climat, nous devons mettre en cause les dominations politiques et économiques qui nous ont conduits à l’échec. La réponse aux besoins des peuples et la réduction des émissions des gaz à effet de serre sont une question de lutte de classe. Cela interroge le droit à l’énergie en tant que bien commun et les capacités créatrices humaines à développer.
À ce propos, ceux qui se réclament du communisme et de la gauche devraient saluer l’EPR qui va nous octroyer une énergie décarbonée pour des décennies ! Rappelons deux grands noms du communisme français à l’origine de notre filière décarbonée puissante et de l’utilisation civile de l’énergie nucléaire, le ministre Marcel Paul et le scientifique Frédéric Joliot-Curie. Cela démontre que des politiques d’État fortes et cohérentes au niveau national et international sont indispensables. Pour moi, le communisme du XXIe siècle ne doit pas fuir l’État et le pouvoir.
La question du communisme se pose ainsi en partant du concret. Pourquoi faudrait-il s’appuyer sur ce que vous nommez des « déjà-là » de communisme ?
Bernard Vasseur
Philosophe et coauteur du Communisme qui vient, éditions La Dispute, 2024
Nous ne sommes pas dans une société communiste. On s’en serait rendu compte sinon… Mais alors comment concevoir le communisme ? Depuis Marx, qui l’a théorisé dans son célèbre Manifeste du Parti communiste de 1848, le communisme est défini comme un combat politique.
Par conséquent, la question est de savoir comment inscrire au présent du communisme, autrement dit de l’anticapitalisme, dans une situation historique donnée. C’est tout l’intérêt de ce livre écrit avec Bernard Friot. Pour ma part, je suis venu au communisme par la lecture de Marx lorsque j’étais professeur de philosophie. J’ai alors adhéré au Parti communiste.
La première chose que j’ai alors découverte, c’est qu’on ne parlait jamais du communisme, sauf quelques lignes dans les congrès. En revanche, on identifiait des « préalables » au communisme. Je me souviens par exemple de l’époque du programme commun qui devait permettre « de la démocratie avancée » et d’ouvrir « la voie au socialisme ». Des dirigeants m’expliquaient que le communisme est un horizon. C’est embêtant parce que plus on s’approche de l’horizon, plus il recule !
C’est gênant d’être le parti qui se réclame du communisme et de le considérer comme quelque chose qui n’est jamais d’actualité. Alors, quand j’ai lu Bernard Friot, j’ai trouvé un compère de pensée, il disait : « Le communisme c’est maintenant ». Et non seulement c’est maintenant, mais en plus le mouvement ouvrier n’a pas perdu son temps au XXe siècle et a déjà marqué des conquêtes. Les conquis ne sont pas « le » communisme, mais « du » communisme, des « déjà-là » communistes.
La bataille pour des « déjà-là » communistes se trouve d’ailleurs dans tous les textes de Marx. Elle est présente dans le Capital, dans son analyse par exemple consacrée à la Commune de Paris. Ce sont toutes ces luttes qui marquent des points dans une société capitaliste. Jaurès a, lui, utilisé cette formule de « graines de communisme » à l’intérieur de la société capitaliste.
On retrouve aussi cette idée de germes de communisme chez Lénine. Le « déjà-là » communiste est donc une notion parfaitement marxienne. Et on la trouve aussi chez Friot. Alors pourquoi fait-on aujourd’hui la fine bouche sur cette notion ? Cette belle tradition se poursuit avec toutes ses effervescences de communisme dans la situation actuelle.
Votre ouvrage présente un chapitre sur « le dépérissement de l’État». En quoi cela questionne-t-il la prise de pouvoir ?
Bernard Friot
Économiste, sociologue et coauteur du Communisme qui vient, éditions La Dispute, 2024
Nous ne partons pas de zéro. Imaginez le communisme comme quelque chose nécessitant d’abord une étape socialiste est une faute stratégique. En réalité, le communisme est à l’œuvre dans nos sociétés. Penser qu’il ne peut advenir qu’après une prise du pouvoir d’État, c’est nier que dans le capitalisme il y a une classe révolutionnaire.
C’est penser qu’il n’y a qu’une seule classe pour soi, la bourgeoisie, et que, en face, il y a de temps en temps des rapports de force favorables, mais qu’il n’y a pas de classe en capacité d’instituer des alternatives. Le capitalisme n’est pas une structure qui se reproduit à l’identique. Le mot central pour qualifier le capitalisme chez Marx n’est pas « domination ».
On va laisser ça à Bourdieu. Marx use, lui, du terme de « contradiction ». Dans cette contradiction à l’intérieur même du capitalisme, une classe est capable d’instituer les alternatives. Il se crée même des alternatives durables contre laquelle la classe dirigeante, évidemment, se mobilise mais qu’il serait absolument irresponsable de ne pas promouvoir, de ne pas actualiser, de ne pas généraliser.
C’est le fait, par exemple, que le salaire soit un attribut de la personne et non pas du contrat de travail et de l’activité en étant payé à la mesure d’un acte de subordination. Lorsque Ambroise Croizat a supprimé tout lien entre cotisations et calcul de la pension dans le régime général, et ce jusqu’en 1946, c’était un conquis communiste. La lutte de classe peut instituer une alternative communiste.
Si le communisme ce n’est pas du concret, nous sommes dans l’illusion religieuse d’une croyance. Arrêtons de parler d’une classe dominée parce que tous les droits que nous avons conquis dans ce pays l’ont été par les mobilisations de cette classe. Aucun n’est venu par en haut, grâce à un bon État qui a fait une bonne politique menée par une bonne classe dirigeante.
Tout ça c’est de la blague. Comment voulez-vous faire la révolution écologique si nos droits dépendent du contrat de travail passé avec EDF ou avec Areva ? Nous serons incapables de devenir souverain sur le travail pour changer dans une optique écologique. Les conquis communistes, encore une fois, sont décisifs.
Bernard Vasseur J’ajoute juste un petit mot à ce que vient de dire Bernard Friot. On nous a parfois opposé que Marx, lui, dans le Capital, explique aux travailleurs que ce qu’il faut faire, c’est abolir le salariat. Alors proposer un salaire communiste est-ce possible ?
En effet, à son époque, le salariat était une invention du capitalisme et une manière de dominer la force de travail à laquelle on réduisait les humains. Par conséquent, il va de soi que Marx, penseur du communisme, en appelle à supprimer ce salariat-là. Il ne s’agit pas de supprimer le salaire mais ce qu’il y a de capitaliste dans le salaire. Un salaire accroché à la personne et non plus au marché ou au patron, c’est un salaire communiste.
Bernard Friot Toutes les inventions que nous évoquons dans notre ouvrage concernent aussi la propriété communiste, avec des « déjà-là » qui induisent le dépérissement de l’État. Assumons-les, cessons d’être aveugles sur tous ces « déjà-là » pour être à l’offensive et retrouvons l’assurance et le dynamisme porteur d’espoir.
Éric Le Lann Si l’on veut parler avec les « déjà-là » d’un bilan du communisme au XXe siècle, je suis d’accord : ne sous-estimons pas l’héritage. De ce point de vue, il y a les nombreuses conquêtes sociales. Mais à l’échelle de l’humanité, il faut aussi signaler la défaite de l’idéologie nazie et de l’organisation raciste du monde.
On peut mettre encore au crédit du communisme une conception élargie des droits de l’homme aux droits sociaux. Le grand théoricien de l’offensive néolibérale Hayek voyait d’ailleurs dans la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948 l’héritage de la révolution marxiste russe. Avec l’offensive néolibérale, l’objectif reste d’en finir avec le communisme.
Et nous sommes dans un pays où les programmes officiels de terminale d’histoire amalgament le communisme, le fascisme et le nazisme. C’est bien sûr le Parti communiste qui est visé. Mais au-delà, c’est un travail de fond pour déposséder les classes dominées de leur histoire et de leur marque dans l’histoire. Selon cette autre lecture historique, la démocratie occidentale aurait successivement triomphé de différents totalitarismes. Mais alors regardons le bilan réel de la Chine. Aujourd’hui, l’espérance de vie est plus élevée en Chine qu’aux États-Unis où elle continue de reculer.
Bernard Vasseur Concernant la Chine et le communisme, j’ai lu attentivement les textes du dernier congrès du Parti communiste chinois. Selon Xi Jinping, nous en sommes à la phase primaire du socialisme, c’est-à-dire à la construction d’une société de moyenne abondance. Quant au communisme, c’est un idéal qui n’existe que dans le ciel. Voilà ce que les Chinois en disent eux-mêmes aujourd’hui…
Quelle est votre définition du communisme ? Comment l’actualiser ?
Bernard Friot Nous devons actualiser tous les « déjà-là » que la classe ouvrière a construits dans notre pays. Il s’agit de généraliser le droit au salaire comme attribut de la personne, supprimer le prêt préalable comme avance monétaire dans le capitalisme. Il faut supprimer tout crédit dans la production pour n’avancer que ce qu’il faut pour qu’il y ait du travail. Oui, enfin, assumons l’héritage communiste dans ce pays.
Bernard Vasseur Alors, assumons, c’est-à-dire reconnaissons l’héritage communiste dans ce pays. Nous voyons bien que dans la société aujourd’hui, il y a de nombreuses entreprises encore marginales, certes, mais qui poussent ici ou là et essaient d’inventer du non-capitaliste. Elles font prévaloir une logique non capitaliste afin d’échapper à la concurrence, à la propriété privée de l’outil de travail ou au productivisme qui conduit au délabrement de la planète, etc.
Par conséquent, l’intérêt aujourd’hui pour un Parti communiste, c’est de reconnaître que dans la société aujourd’hui, il y a des gens qui travaillent à dépasser le capitalisme. Il faut travailler à les rassembler. Le communisme n’est plus la propriété privée du Parti communiste. Et ça, je trouve que c’est quelque chose qu’il faut saisir et développer.
Éric Le Lann Le 15 août 2024, un dirigeant de premier plan mondial en campagne électorale a mis en garde contre le fait de se jeter dans les bras d’un système communiste où « tout le monde aura accès à des soins de santé ». Trump s’en prenait ainsi à la candidate démocrate Kamala Harris.
On pourrait presque tous citer cette définition de Trump du communisme ! Sur un terrain plus philosophique, Marx résumait cette idée dans la formule : « Nous ne nous présentons pas au monde avec un principe nouveau. Voilà la vérité à genoux ! » Et si je ne partage pas toujours ses engagements je reprendrai à mon compte les propos de la philosophe Isabelle Garo pour qui « le communisme c’est la réappropriation par l’humanité de ses propres forces sociales ». À mon sens, cela définit bien le communisme.
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