Il avait tenu à tenir son rôle jusqu’au bout, en prononçant le dimanche de Pâques, à la loggia centrale de la basilique Saint-Pierre pour le message Urbi et Orbi. François y souhaitait notamment “la lumière de la paix pour la Terre Sainte et pour le monde entier”. La Corse et Marseille ont été parmi ses derniers voyages sur les bords d’une Méditerranée qu’il qualifiait de « cimetière ». À Ajaccio, le 15 décembre 2024 – à Paris on venait d’inaugurer la réouverture de Notre-Dame –, le pape François lançait un appel vibrant à la paix « pour tout le Moyen-Orient et entre les peuples russe et ukrainien ».
C’est en juillet 2013 sur l’île de Lampedusa qu’il avait fait son premier déplacement. Tout un symbole au plus fort de ce qu’on appelait alors la « crise des migrants ». Ce fut un séjour papal chargé d’images et de paroles marquantes. On parlait presque de révolution dans l’Église catholique apostolique romaine.
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Après le renoncement de Benoit XVI, ce 13 mars 2013 d’aucuns ne misaient pas grand-chose sur le règne de François au pontificat. « Ce sera un désastre », lançait le cardinal slovène Franc Rodé 1, disant tout haut ce que beaucoup de prélats catholiques pensaient tout bas.
Un pionnier dans l’Église
Dans l’histoire de la papauté, François fut le premier à plusieurs titres. Premier non Européen, premier du continent américain, premier jésuite, et parlant mal l’italien. Il vivait loin des arcanes du Vatican et était un inconnu. Selon certaines sources, il figurait, au conclave de 2005, dans la « short list » finale face à Joseph Ratzinger, devenu le pape Benoît XVI. Au départ de ce dernier, ils étaient peu nombreux à croire que l’archevêque de Buenos Aires puisse lui succéder.
Âgé de 76 ans, Jorge Mario Begoglio avait déjà de sérieux problèmes de santé et il ne correspondait pas vraiment aux codes de la maison. Mais lorsque, au bout de deux jours de suspens, son nom sort de la fumée blanche, la presse titre « celui que l’on n’attendait pas ».
Né à Buenos Aires en Argentine le 17 décembre 1936, Jorge Mario Begoglio est mort ce lundi 25 avril 2025. Ce fils d’un père comptable, immigré italien, avait fait des études de chimie avant d’entrer en séminaire diocésain et d’être ordonné prêtre le 13 décembre 1969 dans la Compagnie de Jésus.
Après une parenthèse au Chili, où il fait des études de lettres, il obtient un diplôme de philosophie, puis enseigne dans divers collèges de Buenos Aires. En 1992, Il est nommé par le pape Jean Paul II évêque auxiliaire de la capitale argentine, puis archevêque primat d’Argentine en 1998 et cardinal en 2001.
Dès les premiers instants de son pontificat au Saint-Siège, il imprime sa marque. D’abord par le choix de son nom saint François d’Assise, ce protecteur des pauvres, proche de la nature et qui avait choisi une vie sobre, limite ascétique. Il se débarrasse des signes de « richesse » en arborant souvent une simple soutane blanche.
Le Pape du Sud global
François aura également invité l’Église romaine, trop occidentale à son goût, à regarder davantage vers le sud et les périphéries. « Son pontificat (aura été) marqué par des pas de côté », a résumé l’écrivain jésuite François Euvé. Avant de devenir pape, Jorge Mario Bergoglio déclarait d’ailleurs : « L’Église doit sortir d’elle-même et aller dans les périphéries, non seulement géographiques, mais aussi existentielles, là où se trouvent le mal, l’injustice, la douleur, l’indifférence religieuse, les affrontements intellectuels et toutes les misères. »
Pour lui, l’Église appartient autant aux pays en voie de développement qu’aux pays dits riches. Aussitôt dit aussitôt fait, le premier conseil des cardinaux qu’il met en place dès 2013 représente tous les continents. Il compte seulement deux Européens sur huit. Il s’emploiera à nommer un plus grand nombre de cardinaux d’Asie ou d’Afrique, laissant pressentir à de nombreux observateurs que le prochain pape pourrait être africain ou asiatique.
À plusieurs reprises, le pape François a provoqué la colère des conservateurs, comme ce fut le cas lorsqu’il publie en juillet 2021 la lettre apostolique Traditionis custodes, visant à restreindre la messe en latin. Un an plus tard, en juin 2022, autre sujet de discorde : la publication d’une nouvelle constitution, qui présente comme mesures, aussi contestées qu’attendues, la possibilité que les laïcs, hommes et femmes, dirigent un dicastère, mission jusque-là réservée au clergé.
Des réformes annoncées aux allures de vœux pieux
Certains lui reprochent un certain autoritarisme ainsi que le raconte le correspondant à Rome de la Croix en août 2022 : « Loin de l’image joviale et souriante qu’il renvoie dans ses apparitions publiques, le pape argentin est avant tout un homme d’autorité. Nombreux sont ceux qui en ont fait l’expérience. Ses choix, une fois posés, ne se contestent pas. À tel point qu’un adjectif revient systématiquement pour qualifier son style : vertical. »
Une gouvernance verticale, donc, et une stratégie des petits pas dans ce pontificat dont on attendait beaucoup en termes d’avancées et d’ouverture. Ses discours en faveur d’une réelle inclusion des femmes dans l’Église sont restés des vœux pieux tant dans la doctrine que dans les actes. Participation des laïcs, ordination des hommes mariés, place des homosexuels… il n’y avait aucun sujet tabou, assurait-il. Mais le rapport de force au Saint-Siège lui était trop souvent peu favorable.
En septembre 2024, lors d’une visite en Belgique, il s’en prenait, une nouvelle fois, aux médecins qui pratiquent l’IVG. Mais, un an plus tôt, en janvier 2023, peu avant de publier sa déclaration doctrinale « Fiducia supplicans » ouvrant la voie à des bénédictions des couples de même sexe – et qui avait provoqué un tollé dans les Églises –, il déclarait : « Je dirais à ceux qui veulent criminaliser l’homosexualité qu’ils ont tort. »
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Il ne s’est pas prononcé clairement sur le caractère systémique des abus sexuels dans l’Église, apparus au grand jour, massivement, sous son pontificat, mais il n’aura pas manqué de dénoncer « les méfaits de l’omerta », « l’excès de pouvoir des prêtres ». Depuis, le secret permettant à la justice pontificale de ne pas communiquer sur les enquêtes a été aboli dans les affaires de violences sexuelles commises par des clercs ; tous les diocèses dans le monde ont l’obligation d’ouvrir des bureaux d’écoute et d’accompagnement des victimes.
En matière de scandales financiers, le pontificat de François n’aura pas réussi à s’épargner des soupçons de corruption mafieuse, qui gangrène l’Église romaine depuis des lustres. En témoigne le procès intenté contre le Saint-Siège, en janvier 2023, par Libero Milone, ancien contrôleur des finances de l’Institut pour les œuvres de religion (IOR, la banque du Vatican), qui avait été poussé vers la sortie en 2017.
On retiendra nombre de dernières déclarations du pape François, à l’instar de celles qui avaient nourri beaucoup d’espoir, il y a douze ans, ses prises de position en faveur de la défense de l’environnement, contre les guerres et le commerce des armes. Lors d’un Angélus en novembre, il a fustigé « l’hypocrisie de parler de la paix tout en jouant à la guerre » et déploré « deux échecs de l’humanité aujourd’hui : l’Ukraine et la Palestine, où les gens souffrent, où l’arrogance de l’envahisseur l’emporte sur le dialogue ».
Dans son dernier livre paru le 19 novembre en italien 2, L’espérance ne déçoit jamais. Pèlerins vers un monde meilleur, mot d’ordre du Jubilé de 2025, il reconnaît pour la première fois : « D’après certains experts, ce qui se passe à Gaza a les caractéristiques d’un génocide. » Il a, à maintes reprises, dénoncé « la situation humanitaire désespérée ». Le 20 décembre apprenant encore la mort d’enfants sous les bombardements à Gaza, il s’indignait une nouvelle fois de la « cruauté de la guerre ».